top of page

17b- DE LA THEORIE DES MODULES FONCTIONNELS

VIE ET MORT DES MODULES FONCTIONNELS

 

Du point de vue clinique les modules fonctionnels psychiques auraient la propriété de " vivre " leur propre histoire ou de satisfaire leurs besoins indépendamment des autres. Sur le plan phénoménologique , nous sommes portés à décrire l'existence d'un module fonctionnel " conscient et réaliste ", relativement peu développé, qui ne discute point que deux et deux font quatre. Celui-ci serait dans côté d'une foule de petits et grands modules inconscients plus ou moins disjoints qui tenteraient dans différentes circonstances de prendre ou de reprendre le pouvoir sur les autres ou de fonctionner parallèlement sans tenir compte du contexte.

 

Le module fonctionnel " conscient et réaliste " serait le support de notre conscience rétroactive " d'être au monde ". A côté des grands modules fonctionnels conscients ou inconscients, existerait un certain nombre de " modules élémentaires " faits de traces mnésiques qui ne seraient que des automatismes fonctionnels relativement simple fixés de longue date du fait de l'apprentissage ou du conditionnement du système nerveux ayant mémorisé certaines situations. Ainsi le psychisme peut être marqués durablement soit par l'effet d'un traumatisme plus ou moins récent soit par l'association automatique saugrenue de divers stimuli, telles qu'on peut le constater dans la vie quotidienne lors de la juxtaposition concomitante événements. Selon cette conception, notre psychisme garderait toujours en lui des potentiels de réactivités ou d'activités inconscientes qui ne demanderaient qu'à s'exprimer le moment venu. La clinique disparate des troubles du comportement et affectifs trouverait ici une explication unifiée. Le plus souvent les voies d'expression des modules fonctionnels passent par les rêves, les lapsus, les actes manqués, les délires, les personnalités immatures, psychopathiques, les personnalités multiples, les états de conscience modifiée (obnubilation, somnambulisme, états crépusculaires, troubles hypnagogiques, intoxication, coma, hypnose, voyages pathologiques, prise de drogue, épuisement psychique et physique, états de régression psychologique ou neurologique).

 

Mais il est des cas où l'expression des potentiels de réactivité ou d'activité de certains modules nécessite une exposition à une situation particulière signifiante pour un sujet donné. C'est ce que l'on observe notamment dans les problématiques post-traumatiques, perverses ou psychopathiques.La signification personnelle trouverait sa raison d'être tout à la fois dans l'histoire du sujet et dans les incidents fortuits qu'il rencontre et interpréte en fonction de sa fantasmatique et des discours qu'on a pu lui servir notamment au cours de sa prime enfance, âge où ses capacités de critique et d'objectivité étaient des plus réduites. De ces expériences infantiles précoces mal intégrées découleraient le plus souvent des fixations psychoaffectives soit du fait de la répétition de situations traumatiques, soit de par l'impossibilité d'avoir pu exprimer et critiquer les croyances erronées durant de longues périodes d'incubation sous l'effet de mécanismes de refoulement.

 

Dès lors peut on mieux comprendre comment un élément fortuit, anodin, unique ou répétitif dans la chaîne signifiante du sujet, arrive à "s'imprimer" si profondément dans le psychisme pour qu'il arrive à forcer un sujet à se comporter et à penser de telle ou telle façon de manière irrépressible malgré parfois la conscience aiguë de l'absurdité de ces attitudes ou pensées automatiques. Ce phénomène est particulièrement observable de manière caricaturale chez les patients atteints de troubles phobiques, obsessionnels invalidants, pulsionnels pervers sexuels ou meurtriers.

 

 

L'HOMME: UN ETRE BIO-PSYCHO-SOCIAL

 

Faire de la psychologie aujourd'hui, en éludant totalement la question du biologique, serait contraire à une démarche clinique et scientifique réaliste qui ne peut plus admettre que la psychanalyse puisse buter contre le roc biologique sans en subir des conséquences fâcheuses. Faire un pont entre le biologique, le fonctionnel, le psychologique et le social s'impose si l'on ne veut pas voir nos patients et nos thérapeutes s'engouffrer dans des impasses douloureuses, stériles ou stagnantes. C'est pourquoi, tout individu doit être appréhendé comme une unité singulière soumise à divers influences concomitantes entremêlés d'ordres:

 

1) génétique, biologique, neuro-endocrinien

2) réflexes par conditionnemment cognitivo-comportemal

3) représentationnel symbolique et cognitif

4) culturel familial et social.

 

En définitive la nature l'Homme se résumerait à celle d'un être bio-psycho-social hautement conditionnable.La conception du neurologue Lionel Naccache (15) du fonctionnement du cerveau expliquerait bien la diversité de la réalité clinique tant du côté de la psychologie quotidienne que de celui des troubles psychiatrique. Livrons ici un extrait significatif de son élaboration : " Nos aventures neuropsychologiques nous ont appris à penser l'inconscient non pas comme une entité unifiée, mais comme collection de processus absolument distincts et indépendants les uns des autres."

 

Sa vision du fonctionnement psychique, que nous partageons, s'attaque de front au dogme de l'existence d'un inconscient psychique unitaire encore trop soutenu par les tenants de la psychanalyse orthodoxe. Et c'est dans le même sens que va le psychanalyste Alain de Mijolla (16) en affirmant à l'encontre de ses pairs que l'inconscient n'est qu'une " commodité de langage pour mieux traduire de façon ramassée un ensemble de processus ".

 

De son côté le psychanalyste André Green (17) ne craint pas d'avouer l'absolue nécessité de revisiter de fond en comble les bases théoriques de la psychanalyse. Pour lui tout " un système complexe né de la pathologie borderline ou psychotique tend à se construire à partir d'une nouvelle métapsychologie. Si nous sommes encore loin de posséder les clés d'un fonctionnement psychique qui reste à découvrir, nous sommes sur une voie d'avenir prometteuse, en espérant surmonter ces impasses actuelles. Nous pourrons peut-être dépasser la tentation du retour à la fragmentation devant toute menace de progrès ressentie comme insupportable, conduisant à préférer une destructivité familière au danger d'une nouveauté inconnue, accompagnée d'une douleur inacceptable.

 

C'est bien, comme Freud l'a démontré, l'existence de divers processus psychodynamiques comme le refoulement, le déni, le clivage qui réussit généralement à " masquer " l'expression clinique des multiples modules inavouables ou dangereux nous constituant qui seraient susceptibles de nous mettre en danger relationnel ou de mort si nous osions les faire " parler " dans le réel.

 

Mais à côté des modules complexes plus ou moins refoulés, existent aussi énormément de modules simples, simples traces mnésiques, imprimées au cours de la construction précoce du sujet, qui naturellement tendent à s'activer " sauvagement " à travers des symptômes, des affects, des pensées ou des actes irrépressibles déclenchés par des situations ou des contextes particuliers ayant valeur d'indices évocateurs pour le sujet. Notre théorie unifiée des modules fonctionnels 20 reste tout à fait compatible avec celle des programmes ou séquences non terminés que nous avions primitivement élaborée en 2002. Son grand avantage, par rapport aux autres théories, est d'être capable de rendre compte de la variété des expressions cliniques psychiatriques et psychocomportetementales ainsi que des divers ratés de la psychologie quotidienne (Freud) sans laisser la moindre zone d'ombre. Elle a également l'intérêt de pouvoir intégrer tout à la fois l'ensemble des divers mécanismes de défense de nature purement psychologique (conflits, refoulement, clivage, etc) et la totalité des nombreuses manifestations cliniques lors d'une atteinte du système nerveux central par lésions cérébrales, dysfonctionnement ou intoxication. Nous renvoyons ici le lecteur spécialisé à la théorie organogénétique de Henri Ey faisant état de la libération de certaines fonctions (comportements, affects, sensations) selon la localisation du dysfonctionnement de système nerveux central et ce quelle que soit la nature du trouble neurologique (lésion, tumeur, malformation, épilepsie, troubles de la vigilance, intoxication, dégénérescence).

 

 

THERAPIES ET MODULES FONCTIONNELS

 

Du point de vue thérapeutique, la théorie des modules fonctionnels permet au sujet voulant travailler sur lui-même ou sur son entourage de mieux cerner l'ensemble de ses propres modules en fonction de leur caractère dysfonctionnel, adapté ou inadapté au regard d'un contexte donné. Les différents modules seraient à regarder comme autant de petits ou grands "démons" et "anges" qu'il faut dans un premier temps cerner. Dans un deuxième temps de réflexion, le sujet devra décider d'en activer certains ou d'en freiner d'autres selon les circonstances dans le respect le plus possible de la vie en collectivité si celle-ci n'est pas trop contraignante. On devine ici l'ampleur des dilemmes que peuvent vivre certains sujets ne partageant que très peu les valeurs de la société qui les accueille. C'est tout le problème du degré acceptable du renoncement à satisfaire l'ensemble de nos besoins face aux exigences de la société qui tend immanquablement à limiter l'expression de nos pulsions afin de sauvegarder l'unité groupale. Le compromis comme le symptôme, qu'il soit névrotique, psychosomatique ou psychotique, est donc le prix à payer pour vivre dans une relative quiétude.

 

Notre théorie des modules fonctionnels a par ailleurs l'avantage d'éviter la culpabilité ou l'impuissance qui touchent souvent les patients atteints de troubles envahissants de la personnalité ou certains thérapeutes débordés ou dépassés par la stagnation, la compulsion de répétition, la résistance au traitement. Dans ces derniers cas, le thérapeute se trouve généralement en face d'un module fonctionnel très puissant contre lequel il ne peut pas lutter et qu'il ne doit surtout pas combattre afin de l'éteindre, car en essayant de le combattant il courre le risque plus encore de le fortifier.

 

Enfin de compte "aimer", "détester" ou "'admettre" ses modules et ceux des autres semble une la clé libératrice afin d'accéder à l'harmonie ou à une relative paix intérieure et relationnelle. Cependant travailler sur ses modules pour vivre le mieux possible ne suffit pas. En effet, la vie nous précipite sans cesse dans des situations qui nous obligent à nous frotter aux modules des autres. Sources d'incompréhensions ou de réactions inadaptées, ces frottements interpersonnels finissent parfois par nous atteindre dans notre confiance en nous et en l'humanité si nous manquons notamment d'indulgence, de patience ou de fermeté tout en gardant à l'esprit d'agir pour le bien de la personne ou de la collectivité.

 

La théorie des modules fonctionnels permet aussi de mieux comprendre certaines résistances ou rechutes liées à des phénomènes de conditionnements et de déconditionnements mal opérés ou insuffisamment appliqués dans le temps. Pour s'en convaincre, il suffit de croire les témoignages des grands champions de sports (tennis, golf) qui font état en général d'une période de plus de deux ans de travail acharné afin d'acquérir l'aisance et l'automatisme d'un nouveau geste plus performant. Il se pourrait que ce temps nécessaire soit incompressible et qu'il soit à mettre sur le compte de nouvelles connexions ou de la construction de circuits neurologiques qui nécessitent du temps pour s'établir. (19)

 

 

A y regarder de plus près la théorie des modules présente l'énorme avantage d'être capable d'incorporer en son sein, sans les dévoyer, l'ensemble des diverses théories et pratiques de l'esprit. Qu'elles soient développementales, neurofonctionnelles ou attachées à des pratiques religieuses, philosophiques et de sagesse, toutes ces approches de l'esprit que les humains ont su développer jusqu'à ce jour sont à considérer comme autant de moyens différents afin de mieux se connaître et se supporter. En tant que théorie unifiante, la théorie des modules fonctionnels a la particularité de pouvoir accepter néanmoins une approche spécialisée dans le traitement d'un sujet en fonction de la prédominance ou de la spécificité d'un module, ce qui n'empêche aucunement le recours à une autre technique si les circonstances ou l'évolution du sujet le demande. Ainsi, cette théorisation, qui évite l'écueil de l'éclectisme ou du réductionnisme, est à même de mieux lutter contre les clivages idéologiques opposant notamment approches psychanalytiques, cognitivo-comportementale, psychopharmacologiques, existentielles, systémiques, sociologiques ou religieuses.

 

Reconnaître et travailler sur ses modules, quels que soient les moyens employés (psychanalyses, psychothérapies, méditations, voyages, etc) reste à nos yeux la meilleure façon de tisser un lien entre nos divers besoins et activités corporelles et psychiques en vue de tendre au plus près vers l'harmonie de nos mondes intérieur et extérieur. Y renoncer serait s'enfermer à subir certains modules dans la dépréciation de soi, la tradition, la rigidité, la fatalité ou bien dans une lutte projective délirante sa vie durant contre les "autres". C'est en cela qu'il a lieu de reconnaître à une branche la psychologie, celle de la volonté, une certaine efficacité dans la mesure où elle s'applique à modifier, par telle ou telle technique, tel ou tel travers, tout en tenant compte du contexte dans lequel évolue la personne sans pour autant la couper de sa propre nature et de ses besoins particuliers. Tâche assez complexe au demeurant quand on sait comment notre histoire, nos rencontres et les milieux que nous fréquentons nous fabriquent au plus profond de notre être.

 

Le psychiatre psychanalyste Daniel Widlöcher, de par sa longue expérience témoigne des impasses actuelles de l'approche psychanalytique pure et dure. Ainsi, pour lui, le " danger est toujours présent du dualisme, opposant le cerveau à l'esprit, le biologique au psychique, et séparant le soin de l'aide psychologique. Pour surmonter ce péril, biologistes et psychothérapeutes devront prendre la mesure des progrès qui se poursuivent dans l'étude des processus liés au traitement de l'information. L'opposition entre le cognitif et le psychodynamique est une absurdité. Quant à celle qui prévaut entre les thérapies cognitivo-comportementales et la psychanalyse, c'est une question de méthode. Depuis des dizaines d'années maintenant, les psychologues ont montré que les opérations mentales se situent à des niveaux distincts d'organisation fonctionnelle. Par la méthode de l'intelligence artificielle, on sait que telle ou telle opération complexe (une évidennce phénoménologique ou un mécanisme de défense psychanalytique) repose sur une série de mécanismes élémentaires qu'une approche expérimentale nous permet de décomposer. La notion de stratégie cognitive ne s'applique pas seulement à la complexité de la conscience, ni même aux agents du travail de rêve. On saura de mieux en mieux quelles structures neuronales ou infraneuronales collabore nt à leur réalisation.

 

Les psychanalystes français auraient pu en prendre connaissance beaucoup plus tôt et les clivages doctrinaux qui marquent les structures de nos formations enseignantes en psychologie ne seraient pas ce qu'elles sont si le développement de la psychanalyse en France n'avait été marqué par le préjugé antipsychologique dominant chez les psychiatres français. " (20)

 

Nous suivons aussi les considérations d'André Green (21) qui souligne un nécessaire travail psychanalytique de liaison des diverses instances psychiques et traces mnésiques afin de permettre au sujet de se réaliser au mieux. " S'il reste beaucoup à faire pour continuer d'avancer grâce à ce que la psychanalyse a déjà permis de comprendre, il faut rappeler qu'aucune autre démarche ne peut prétendre apporter mieux qu'elle une compréhension en profondeur pour pénétrer les mécanismes de la causalité psychique. Il n'y a aucune raison de baisser les bras, il faut redoubler de courage devant l'ampleur de la tâche qui nous attend. Mieux vaut connaître l'adversaire que l'analyste aura à affronter que de le méconnaître pour entretenir des illusions destinées à êtres déçues".

 

Ce vœu ne pourra se réaliser qu'à la seule condition que le psychanalyste sache abandonner sa posture dogmatique de fermeture au service de son école pour endosser celle beaucoup plus ouverte et créative de psychopraxicien au service de ses patients. Si Lacan a prôné un retour aux textes de Freud, il nous paraît plus opportun d'oeuvrer aujourd'hui pour un retour à la clinique qui reste le seul obstacle capable d'endiguer les tentations d'honorer aveuglement un maître aussi génial soit-il.

 

 

1 Alain Ferrant. Pulsion et liens d'emprise. Ed. Dunod, 2001, p.193.

2 André Green. Le travail du négatif. Editions de Minuit, 1993.

3 Sandor Ferenczi. Thalassa. Ed. Payot, 2002.

4 André Green. Illusions et désillusions du travail psychanalytique. Ed. Odile Jacob, 2010, p.57.

5 Chemama R et coll. Dictionnaire de la psychanalyse. Ed. Larousse,1998, p. 239-249.

6 Jacques Lacan. In : Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient (septembre 1960)

7 Dictonnaire international de la psychanalyse, sous la direction de alain de Mijolla, ed. Hachette, 2005

8 Carl Gustav Jung. Essai d'exploration de l'inconscient. In: L'homme et ses symboles.Ed. Robert Laffont, 1964, p.747

9 Jean Cottraux. A chacun sa créativité. Ed. Odile Jacob, 2010.

10 Jean Cottraux. La répétition des scénarios de vie. Ed; Odile Jacob, 2001.

11 Lionel Nacchache. Le nouvel insconscient Sigmund Freud. 

12 Sigmund Freud. Trois essais sur la théorie de la sexualité. ed. Gallimard, 1974, p.48

13 Carl-Gustav Jung. Métamorphoses de l'âme et ses symboles. Ed. Librairie de l'Université Georg et Cie S.A.1985, p.544.

14 Carl-Gustav Jung. L'homme à la découverte de son âme. Ed. Du Mont-Blanc, 1948, p.189-211.

15 Lionel Naccache. Le nouvel insconcient. Ed. Odile Jacob, 2009, p.354.

16 Alain de Mijolla. Préhistoires de famille. Ed. PUF, 2004.

17 André Green. Illusion et désillusions du travail psychanalytique. Ed. Odile Jacob, 2010, p. 118.

18 Ladislas Kiss. Des processus de changement. Ed Karpathos, 2003

19 Ladislas Kiss. Des processus de changement. Ed Karpathos, 2003

20 Daniel Widlöcher. Comment on devient psychanalyste...et comment on le reste. Ed. Odile Jacob, 2010, p.278-279.

21 André Green. Illusion et désillusions du travail psychanalytique. Ed. Odile Jacob, 2010, p. 118

bottom of page