14- La précocité intellectuelle de l’enfant
Certains attribuent l’intérêt porté aux enfants précoces intellectuellement, qui représentent 2,3% de la population ayant un QI supérieur à 130, à un effet de mode. À notre avis, il reflète plutôt le résultat d’un bien meilleur repérage, d’une plus grande information dans les mass media et de réels succès dans leur prise en charge pédagogique et clinique.
L’Éducation nationale a commencé de s’emparer du dossier depuis une vingtaine d’années en autorisant la création de la première classe pour enfants précoces dans un collège public au Vésinet. Que peut-on dire aujourd’hui de cette expérience ?
Cette innovation a fait ses preuves. Les élèves ont travaillé à leur rythme, se sont fait des amis et, sans cesse stimulés et sollicités, ont trouvé du plaisir dans l’étude. Cette expérience pourrait servir d’exemple pour des projets pédagogiques semblables. S’appuyer sur les réalisations qui donnent de bons résultats aiderait à réduire l’échec scolaire. De plus, l’effort d’adaptation que les enseignants ont été amenés à faire a été utile à toute la communauté éducative : lorsqu’on a enseigné dans ces classes vivifiantes, on n’enseigne plus tout à fait comme avant et tous les autres élèves de l’établissement en récoltent le bénéfice.
Les exemples à l’étranger pourraient également enrichir les réformes du système éducatif français au regard des enfants intellectuellement précoces. Evidemment, on ne peut pas tout faire pour ces enfants, mais au moins faisons le mieux possible car les difficultés et les interrogations qui les attendent ne s’arrêtent pas à l’adaptation réussie au sein de la société, du travail, de la famille ou du couple. En effet, il persiste parfois chez eux devenus adultes un certain malaise existentiel, relationnel, un sentiment d’isolement et des questionnements sur leur vraie nature, leurs capacités d’engagement social ou sur le sens profond à donner à leur vie pour ne pas avoir le sentiment de gâcher leurs talents. Nos efforts de synthèse des connaissances actuelles sur les enfants intellectuellement précoces nous ont permis de dégager deux notions particulièrement opérationnelles permettant de mieux les aborder et les prendre en charge sous leurs diverses facettes et problématiques : l’une concernant l’utilité et la pertinence des tests d’évaluation pour le dépistage et l’autre mettant en exergue la pression des mécanismes de défense à l’origine de cercles vicieux touchant tant l’enfant, sa famille que sa relation avec les exigences liées aux processus d’apprentissages.
C’est pourquoi nous avions initié en 2007 des groupes de parole au sein de l’AFEP (Association Française pour les Enfants Précoces) afin d’étudier au plus près les préoccupations et le vécu des personnes adultes concernées par la précocité intellectuelle (parents, fratrie, enseignants, éducateurs, psychologues, psychiatres, pédiatres). Ces groupes d’adultes s’adressaient aussi bien à d’anciens enfants précoces qu’à des parents d’enfant précoce sensibles à la brutalité de notre monde généralement assez peu ouvert à leur complexité et à leur sensibilité. L’expérience fut extrêmement enrichissante et a permis de comprendre combien il serait utile de poursuivre et d’élargir des initiatives de ce genre. Il semble qu’il soit vraiment nécessaire aux anciens enfants précoces de pouvoir rencontrer de temps à autre quelques âmes sœurs en vue de se revitaliser sans pour autant promouvoir le regroupement communautariste ou sectaire qui n’aurait valeur que d’un souci sécuritaire prenant la forme d’un repli entre soi des plus stérilisants.
Ces rencontres ont permis de mesurer l’impact de l’enfance sur leur vie présente. Il incombe à ceux qui ont les enfants précoces en charge, parents, professeurs, chercheurs, associations, élus, et Éducation nationale bien sûr, de collaborer afin de leur permettre de prendre leur juste place dans le monde : celle qu’ils désirent profondément avoir et que le monde voudra bien leur laisser prendre. Mais pour cela il faut les aider et les guider le plus tôt possible afin qu’ils ne se réveillent pas trop tard face à la réalité de la société dont les diverses règles du jeu tendent à barrer l’accès à certaines filières ou fonctions si on n’a pas suivi et réussi en temps voulu le cursus scolaire et universitaire qui mène à ces filières.
Mais pour certains d’entre eux, vraiment rebelles à l’encadrement et aux conseils, laissons-leur le choix de faire leurs expériences aussi non conventionnelles ou douloureuses soient-elles, en gardant toujours confiance en eux et en leurs capacités à savoir saisir plus tard les bonnes opportunités que la société sera capable de leur offrir. En effet rien n’est plus néfaste pour un individu que d’avoir eu le sentiment d’avoir été incompris, délaissé, négligé, trompé ou maltraité durant son enfance, que ce soit passivement ou activement, tant par ses parents que par le corps enseignant ou la société. Ces divers sentiments et ressentiments peuvent le conduire à choisir selon les cas les voies de l’autodévalorisation, de l’agressivité, de la rébellion, de la subversion, de l’amertume, de la culpabilité, de la dépression ou du cynisme qui vont toutes inexorablement à l’encontre d’un développement personnel et relationnel équilibrés. Pour aider un enfant précoce en difficulté, il est indispensable de ne jamais perdre confiance en ses capacités sans toutefois oublier de l’informer régulièrement de manière bienveillante des diverses règles du jeu de la vie, et lui laissant vivre une enfance « insouciante » et en attendant patiemment l’éveil parfois très tardif de sa maturité psychoaffective. Françoise Dolto dans La cause des enfants avait parfaitement mis en avant à quel point les conflits psychiques des enfants sont susceptibles d’interférer sur leur l’exploitation de leurs capacités intellectuelles.
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », telle devrait être la devise de tout parent ou enseignant ayant en charge un enfant précoce en difficulté scolaire ou relationnelle et ayant à cœur de l’aider vraiment à accéder à l’autonomie et à se réaliser harmonieusement. On ne peut pas protéger les enfants de tous les aléas douloureux de la vie. Faisons au moins de notre mieux pour faire ce qui est en notre pouvoir.